Le jugement en équité est l’ancêtre du jugement puisque,
historiquement, il remonte à une époque où la règle de droit n’était pas encore
formalisée. Dans le vieux conflit qui oppose encore aujourd’hui
l’application de la règle de droit au sentiment que la justice a été rendue, le
jugement en équité permet la rencontre du droit et de la justice. Le
juge peut s’affranchir des règles de droit, il n’y est pas tenu ; il peut
trancher le litige selon les règles de droit qui lui semblent équitables, car
l’équité et le droit ne sont pas toujours divergents. En droit de l’arbitrage,
ce pouvoir du juge est conféré à l’arbitre sous l’impulsion de la clause d’amiable
composition.
Au Cameroun, l’article 592 du Code de procédure civile et commercial précise
que les arbitres et tiers arbitre décideront d'après les règles du droit, à
moins que le compromis ne leur donne pouvoir de prononcer comme amiables
compositeurs. L’amiable composition peut alors se définir comme une clause qui
permet aux parties de demander aux arbitres de trancher sur la base de l’équité.
Les parties dispensent les arbitres de l'obligation qui leur est faite de
statuer en appliquant les règles du droit, ce qui revient à les autoriser à
statuer en équité en recherchant la solution la plus adéquate (ex
aequo et bono). L’amiable composition
ne signifie pas que les arbitres tranchent sans jamais recourir aux
fondamentaux juridiques. C’est à la doctrine et à la jurisprudence que revient
le rôle de tracer les frontières de l’amiable composition. En clair, les
arbitres doivent privilégier la recherche de l’équité.
Consacrée par de nombreuses
lois étrangères, et reconnue par les règlements des centres d’arbitrages les
plus connus dont celui du GICAM (Groupement Interpatronal du Cameroun), l’amiable
composition offre l’avantage d’une administration plus souple de la justice et
apparait avant tout soit comme un correctif, soit comme un complément de la règle
de droit. Toutefois son analyse comme instrument idéal de l’imprévision n’emporte
pas la conviction, dans la mesure ou l’amiable compositeur exerce une mission
juridictionnelle et que l’adaptation de contrats à des circonstances nouvelles,
à l’intervention d’un tiers nommé par les parties ou à l’initiative d’une
institution spécialisée, relève d’un autre mécanisme.
Une simple clause d’amiable composition insérée dans le contrat principal
engage les parties, dès la signature, à soumettre leur éventuel litige à un
arbitre qui statuera en équité.
La mission de l’amiable compositeur
Même lorsqu’il dispose des pouvoirs d’amiable compositeur, l’arbitre a l’obligation
de se conformer à la mission qui lui est conférée. Il doit toujours faire coïncider
sa sentence avec les termes du litige qui lui est soumis, en ne statuant que
sur ce qui lui est demandée.
Si l’arbitre a la faculté de
statuer selon les règles du droit, l’amiable compositeur a seulement la faculté
de les appliquer : il peut, en effet, juger que la plus stricte équité
consiste à appliquer le droit, mais il peut aussi écarter au nom de l’équité la
solution fondée sur celui-ci. Sa mission est donc d’éliminer l’inéquité de la
solution du litige ; aussi doit-il motiver en équité sa volonté d’appliquer
au litige les seules règles du droit, s’il les juge propres à donner au litige
la solution la plus juste.
La stipulation d’une telle clause nécessite une prudence particulière ainsi
qu’une confiance renforcée dans les arbitres, à qui on laisse le libre champ
dans la rédaction de la sentence arbitrale. La
clause d’amiable composition doit en conséquence être expresse et sans
ambiguïté, à défaut de quoi la présomption selon laquelle les arbitres doivent
statuer en droit reprend le dessus. Mais, ils ne doivent pas ignorer les
règles de droit, violer une règle d’ordre public, outrepasser une règle de procédure, et
bouleverser la loi contractuelle des parties
L’amiable compositeur et le fond du droit
L’amiable compositeur peut le cas échéant statuer sans le concours du droit
lorsque son application conduit à des conséquences trop rigoureuses. Ainsi n’est-il
pas tenu de prendre en compte les règles impératives du droit qui ne protègent
que des intérêts privés auxquelles les parties peuvent valablement renoncer
lors de la mise en œuvre de l’instance arbitrale.
Ainsi l’amiable compositeur peut-il rejeter un moyen de défense tirée de la
prescription extinctive ou acquisitive, compenser des créances en dehors des
conditions légales, prononcer une condamnation solidaire alors que la solidaire
n’avait pas été stipulée, repousser une demande de résiliation justifiée en
droit et ordonner l’exécution du contrat, retenir pour les intérêts moratoires
un taux différent de celui fixé par la loi. En matière de sociétés, l’amiable
compositeur a le pouvoir, en cas de partage de l’avoir social d’attribuer à l’un
des associés toutes les créances douteuses, en laissant le recouvrement a ses
risques.
L’amiable compositeur et la règle d’ordre public
Même lorsqu’il statue en qualité d’amiable compositeur, l’arbitre doit
trancher le litige conformément aux règles d’ordre public.
Si les parties n’invoquent pas ces règles devant l’arbitre, il appartient à
celui-ci d’en faire application d’office, sous réserve du respect de la
contradiction. Ainsi, l’amiable composition ne pourra faire produire effet à un
contrat contraire aux dispositions d’ordre public.
L’amiable compositeur et les règles de procédure
La dispense faite aux arbitres de suivre dans la procédure les formes s’appliquant
aux tribunaux ordinaires n’implique évidemment pas qu’ils disposent du pouvoir
de statuer comme amiables compositeurs.
L’amiable compositeur est tenu en ce qui concerne la procédure, de
respecter les dispositions d’ordre public par l’obligation pour l’arbitre
amiable compositeur de ne statuer que sur les points déterminés par la
convention d’arbitrage, de motiver sa décision quand bien même les parties l’en
auraient dispensé.
En plus de cela, l’amiable compositeur doit respecter le principe de l’égalité
de traitement des parties et celui de la contradiction. S’il soulève d’office
un moyen, les parties doivent être invitées à en débattre ; sauf
autorisation expresse des parties, l’amiable compositeur ne peut fonder sa décision
sur des éléments recueillis en leur absence lors d’une descente sur les lieux. Le
respect des droits de la défense emporte donc l’absolue nécessité de l’application
des principes fondamentaux relevant de la mission de juger inhérente à l’amiable
composition.
L’amiable compositeur et le contrat
Le respect des conventions avenues entre parties s’impose à l’amiable
compositeur, lequel est tenu de demeurer dans le cadre contractuel qu’elles ont
tracée. Toutefois il se conforme aux principes de l’amiable composition lorsqu’il
modifie ou modère les conséquences de certaines clauses contractuelles en considération
de motifs tenant à l’équité. Il ne peut en revanche modifier les bases de la
convention passée entre les parties, en dispensant par exemple l’une d’elles de
tous les engagements qu’elle a souscrits. Néanmoins, nous pouvons noter
quelques limites au pouvoir d’amiable compositeur de l’arbitre.
Les limites de l’amiable composition ou l’équité
sans amiable composition
La frontière entre l’arbitrage et l’amiable composition s’estompe lorsque l’arbitre,
statuant en droit, a précisé que l’indemnité au profit d’une partie devait être
déterminée ex aequo et bono, conformément
au pouvoir d’appréciation dont il dispose à l’instar du juge ordinaire ;
il ne saurait lui être reproché, dans ce cas, de s’être arrogé des pouvoirs d’amiable
compositeur et d’avoir par une impropriété de termes, utilisés l’expression « en
équité » pour qualifier la somme qu’il décidait correspondre à la juste indemnisation
au bénéfice du préjudiciée.
In fine, la principale raison qui explique le succès de l’amiable
composition arbitrale tient à la différence essentielle entre la justice
étatique et la justice arbitrale. À l’inverse du juge, l’arbitre est choisi par
les parties. Dès lors la relation de confiance est moins ténue et s’en remettre
à son sentiment d’équité est plus justifié. La différence ne tient donc pas à
l’amiable composition elle-même qui est invariable, mais à son environnement
juridique.