La notion de « due diligence » recouvre des sens
différents selon les domaines où elle est utilisée : on la retrouve dans le
droit international de l’environnement, le droit de la protection diplomatique,
le droit international des investissement, le droit comptable et le droit privé
des affaires.
Il
s’agit d’une investigation menée par un investisseur ou un tiers permettant la
vérification des éléments annoncés par l’entreprise. Lors de l'acquisition
d'une entreprise, les due diligences sont l'ensemble des vérifications que
l'acquéreur potentiel va réaliser afin de se faire une idée précise de la
situation de l'entreprise.
Les caractéristiques
communes à ces définitions révèlent que la « due diligence » est
porteuse d’une obligation de moyens, exigeant la réalisation d’un comportement
minimum et dont l’appréciation demeure largement subjective. En droit privé, elle
est issue de la jurisprudence nord-américaine selon laquelle les dirigeants
sont soumis à l’obligation fiduciaire envers les actionnaires, l’entreprise et
l’ensemble des parties prenantes d’agir de bonne foi. Elle n’exige que le bon
accomplissement de formalités, plus ou moins contraignantes, exigées par les
habitudes du secteur d’activité. Elle permet alors à l’entreprise de se dégager
de sa responsabilité et d’établir une présomption simple en faveur de celle-ci.
La « due diligence
» : une notion adaptée au contexte des droits de l’homme
La notion de « due
diligence » couvre un large spectre de significations selon le contexte dans
lequel l’expression est employée. On retrouve des références à ce concept dans
des domaines divers allant du droit international de l’environnement au droit
des sociétés. Une brève étude de son utilisation dans différents domaines
permet toutefois de mettre en lumière les contours et les traits principaux de
cette notion et de répondre à la question: cette notion est-elle adaptée à une
utilisation dans le cadre des droits de l’homme ?
L’utilisation de la
notion de « due diligence » dans les relations interétatiques
On retrouve le concept
de « due diligence » dans le domaine du droit international de l’environnement,
à travers le principe de l’utilisation non dommageable du territoire de l’Etat.
Il a été défini par la
Cour Internationale de Justice comme « l'obligation pour tout Etat de ne pas
laisser utiliser son territoire aux fins d'actes contraires aux droits d'autres
Etats ». Cette obligation se rapproche d’un devoir de « prudence », de « diligence
» : « Ainsi, l’interdiction de causer un dommage appréciable s’analyse-t-elle
en une obligation de due diligence, obligation de moyens et non de
résultats dont la signification n’est pas très éloignée de la notion de ‘’bon
père de famille’’ du droit civil
français ».
Comme le fait remarquer
Hélène Ruiz-Fabri, ce concept met à la charge des Etats une obligation de moyen, et en aucun cas une
obligation de résultat. Il suppose que son destinataire prenne toutes les
mesures appropriées dans le but réaliser un objectif déterminé : « Parties
are required “to take all appropriate measures” with a view to reaching the
result pursued by the obligations in point ». Si l’objectif à atteindre
doit avoir été précisément déterminé, généralement par une norme (interne ou
internationale), le comportement requis pour y parvenir ne l’est pas :
l’exigence de « due diligence » impose seulement à son destinataire de
prendre les mesures qui paraissent raisonnablement appropriées pour que la
règle visée ne soit pas violée. Aussi, « le concept de due diligence est
aussi très restrictif sur le plan du droit des obligations, puisque l'exigible
doit rester raisonnable.
L’utilisation de la « due
diligence » en droit international de l’environnement met également en lumière
la difficulté à identifier la teneur des obligations pesant sur le
destinataire. En effet, si l’évaluation de l’accomplissement d’une obligation
de résultat est aisée, celle du respect d’une obligation de moyen implique plus
de difficultés, laissant place à une grande subjectivité quant à l’appréciation
du caractère « raisonnable » ou « approprié » du comportement en cause : « The
due diligence nature of the obligations in point and the concept of
“appropriateness” of the measures required involve a large measure of
relativity as to both contents and time frame of the conduct which is to be
taken by Parties ».
Certes, la notion de « due
diligence » tient compte des circonstances particulières dans son
appréciation. Mais c’est le comportement adopté dans ces mêmes circonstances
qui est évalué, par rapport à un étalon de comportement jugé raisonnable in
abstracto, c’est-à-dire en dehors de tout contexte: « Due diligence in a
broad sense refers to the level of judgement, care, prudence, determination, and
activity that a person would reasonably be expected to do under particular
circumstances ».
La « due diligence
» est également utilisée en droit international des investissements. Les
standards de protection des investissements étrangers, tels que les principes
de « traitement juste et équitable » et de « protection pleine et entière »,
recouvrent plusieurs notions. Les tribunaux arbitraux retiennent tout d’abord
l’obligation de vigilance, « également présentée comme l’obligation d’agir avec
la diligence due pour assurer la protection de l’investissement étranger ».
Dionisio Anzilotti
l’explicite en ces termes : « Il est des devoirs internationaux qui consistent
à exercer sur les individus soumis à l’autorité de l’Etat une vigilance
correspondant aux fonctions et aux pouvoirs dont l’Etat est investi. Celui-ci
n’est pas internationalement obligé d’empêcher d’une façon absolue que certains
faits se réalisent ; mais il est tenu d’exercer, pour les empêcher, la
vigilance qui entre dans ses fonctions ordinaires. Le défaut de vigilance est
une inobservation du devoir imposé par le droit international, sans qu’il y ait
alors à parler de faute au sens propre du terme ». Cette définition du devoir
de vigilance, rattaché à l’obligation de « due diligence », tend donc à
ne reconnaître la responsabilité de l’Etat que dans la sphère de ses pouvoirs
et fonctions dits « ordinaires ». Il ne lui est pas demandé de fournir aucun
effort de vigilance supplémentaire qui dépasserait sa « vigilance ordinaire »
pour empêcher que se produisent des actes dommageables sur son territoire.
La « due diligence
» définit ainsi un standard de comportement jugé raisonnable de la part d’un
Etat « normal » : « Dans toutes les mesures de répression, l’Etat doit
développer, comme dans les mesures de prévention, l’activité d’un Etat
normal. C’est donc selon le principe du standard international qu’il
faudra apprécier si les mesures de prévention ou de réaction […] sont ou non
suffisantes au point de vue du droit des gens […]». La notion de « due
diligence » est donc significative d’un devoir minimum de la part de son
destinataire, auquel il semble difficile de faillir, sauf négligence frappante.
Au vu des divers
domaines dans lesquels la notion de « due diligence » intervient en droit
international, il résulte qu’elle n’exige, à travers les obligations qu’elle
met à la charge des Etats, que la réalisation d’un comportement minimal au
regard des circonstances de l’espèce, dont l’appréciation est réalisée de
manière subjective selon un standard moyen et défini in abstracto. Les
obligations de diligence « ne réclament que des comportements moyens ».
L’utilisation de la
notion de « due diligence » en droit privé
Le concept de « due
diligence » en droit des sociétés peut être schématisé comme l’exigence
d’un niveau minimum de prudence dans la prise en compte d’un standard extérieur
au sein de la décision de l’entreprise. La « due diligence » peut
être intégrée à toutes les activités que mène l’entreprise : transactions
financières, fusions-acquisitions d’entreprises, contrats de sous-traitance
etc. Elle peut par exemple répondre à la prise en compte d’une préoccupation
environnementale dans la décision, ou de lutte contre le blanchiment d’argent
et le terrorisme financier, ou, plus couramment, de viabilité économique de la
décision. On peut donc utiliser ce concept pour la prise en compte de la
préoccupation de respect des droits de l’homme dans le processus de décision de
l’entreprise.
L’expression « due
diligence » est « très largement issue de la jurisprudence nordaméricaine
[...], selon laquelle les dirigeants et les conseils d’administration sont
soumis à l’obligation fiduciaire (fiduciary duties) envers les
actionnaires, l’entreprise et la société en tant que telle, c’est à dire
l’ensemble des parties prenantes. Cette obligation de fiducie (gérer pour
autrui) est complétée par la notion de ‘’business judgment’’, qui
représente la marge raisonnable d’appréciation conférée aux dirigeants pour
leur permettre de représenter l’intérêt d’une conduite des affaires efficace,
pourvu que ces derniers agissent de bonne foi (bona fide)». Si
l’expression anglo-saxonne est certes d’apparition récente, le principe qu’elle
recouvre est en revanche aussi ancien que la naissance du commerce
transnational : « The concept of due diligence has been with us from the
very begining of transactions between strangers […]. This practical advice forms part of the general process by which reasonable business people inform themselves
about the transaction they are contemplating so they may satisfy
themselves, their superiors, their shareholders, or their principals that the
transaction is what it appears to be. The Americans may have come up with
a catchy name in ‘due diligence’, but […]) they did not invent the concept
».
L’équivalent français de
l’expression anglaise « due diligence » se trouve dans les définitions
de l’« audit préalable » et de l’« obligation de vigilance ». L’audit préalable
est une « investigation qui implique le recours à des experts, notamment
comptables, financiers, juridiques ou fiscaux, dont les conclusions serviront
de base à la prise de décision d’un investisseur », tandis que l’obligation de
vigilance est un « ensemble de prescriptions légales imposant aux
établissements de crédit et à toute personne recueillant des fonds des
contrôles visant à identifier leur interlocuteur et l’origine de leurs
ressources ». La « due diligence » est donc avant tout un
processus visant à introduire une dimension de prudence, à travers la
réalisation d’un audit préalable ou de contrôles divers, dans la prise de
décision,
vis-à-vis de facteurs
extérieurs.
La « due diligence
» doit être intégrée au processus de décision lui même. Elle est devenue
d’usage général face à la multiplication des régimes de responsabilités,
notamment en matière d’environnement, pouvant toucher l’entreprise : « Due
diligence is used any time the law imposes duties of careful
investigation or for private reasons, the parties to a transaction want
to be as informed as reasonably possible about all of its material aspects
». Le processus de « due diligence » vise donc à protéger l’entreprise
elle-même des éventuels aspects néfastes, notamment sur le plan financier,
inhérents à la décision qu’elle prend : « An efficient due diligence process
can save companies from making costly mistakes that may have profound
consequences for the firm’s other operational areas and/or its corporate
reputation ».
Le destinataire étant
encouragé à prendre une décision à la lumière d’une investigation préalable
raisonnablement menée, le caractère raisonnable semble être laissé à l’appréciation
d’un tiers (qui n’est pas un juge) sans que ne soient définis les critères de jugement
applicables. Le caractère subjectif attaché au concept de «due diligence
», déjà remarqué en droit international, se retrouve donc dans le droit des
entreprises. On retrouve cette subjectivité dans l’ébauche d’une « théorie des
apparences » qui est parfois attachée à la description de la mise en œuvre du
processus de « due diligence » par l’entreprise, faisant primer la
perception extérieure – l’apparence – à la réalité de la situation de fait dans
l’identification des violations des droits de l’homme : « The focus of due
diligence should be to identify risks to the rights of people (…). These risks may arise from company involvement in human right abuse, or from the perception on the
part of stakeholders that the company is a participant in abuses ». A ce titre, conformément
à l’exigence de « comportements moyens » décrite en amont, le processus de « due
diligence » tel qu’il est entendu dans le droit des entreprises, permet à
celui qui l’applique de se contenter du bon accomplissement des formalités,
plus ou moins contraignantes, exigées par celui-ci. L’accomplissement de ces formalités
dégage alors l’acquéreur de sa responsabilité quant aux suites de l’opération :
« In the USA, the American Society of Testing and Materials has
developed a Phase I scope which if completed
gives the purchaser ‘innocent purchaser status’ ».
En « droit américain, [la
due diligence] établit une présomption en faveur de la direction de
l’entreprise. Or une présomption, même simple, complique les choses du point de
vue de la preuve et limite en tout cas la portée de l’action : il suffit que
l’entreprise ait fait des démarches préalables à son opération pour s’acquitter
de son obligation ».
Cette notion est-elle
adaptée à la problématique des droits de l’homme ?
Par l’ambivalence de sa signification,
le concept de « due diligence » n’aide guère à dissiper la confusion
existant en droit international autour des obligations en matière de droits de l’homme.
Le sens qu’on lui attribue diffère selon qu’il est utilisé en droit
international ou dans le contexte du droit des entreprises. Le domaine de la
RSE étant nourri à la fois par le droit international (par l’élaboration de
normes ou de recommandations à l’échelle internationale) et par le droit des
entreprises (auxquelles il s’adresse dans sa finalité), l’utilisation de la notion
de « due diligence » dans ce domaine est ambivalente. D’un côté, elle
ouvre des perspectives intéressantes : « Les dirigeants ne sont pas censés se
substituer aux gouvernements pour faire valoir les droits de l’homme et
l’intérêt général.
Mais ils ne peuvent pas
non plus se retrancher derrière les carences des gouvernements dans ce domaine
sans, en quelque sorte, devenir complice de ces carences. De leur côté, les
gouvernements ont le devoir d’encourager la bonne conduite sociétale des
entreprises et doivent faciliter le respect des normes éthiques. C’est dans
cette articulation entre gouvernance publique (les Etats) et gouvernance privée
(les organisations) que la notion de « due diligence » prend toute sa
signification en tant que règle applicable en droit privé et en droit public,
qu’elle devient source et modèle de comportement ».
A ce flou s’ajoute la
question de l’adéquation de son contenu à la problématique des droits de
l’homme : subjectivité, obligations de moyen, exigence de comportements
seulement minima, lien flou avec les possibilités d’engagement de la responsabilité…
sont-ce des principes sur lesquels fonder le respect des droits de l'Homme ?
L’adoption de la « due diligence » sans clarification préalable ni étayage par
des concepts qui lui confèrent une dimension plus ambitieuse ne semble, au
total, pas suffisante pour préciser l’étendue des obligations incombant aux entreprises dans le domaine des
droits de l’homme.
La « due diligence
» face aux exigences de développement durable
La responsabilité
sociale des entreprises n’est pas étrangère au concept de développement durable
qui s’est peu à peu imposé dans le vocabulaire de l’entreprise, à l’échelle
mondiale. L’interprétation de la RSE en tant que « l’application dans
l’entreprise de la notion de développement durable » est ainsi « couramment
admise ». Les Principes Directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises
multinationales ainsi que le texte de la norme ISO 26000 l’affirment
explicitement.
Le concept de
développement durable sur lequel prend appui la RSE ne doit donc pas être exclu
de la définition du champ d’application des normes internationales en matière
de respect des droits de l’homme par les entreprises. A ce titre, il serait
réducteur d’estimer que la stratégie de développement durable n’aurait d’impact
qu’en matière de protection de l’environnement et non en matière de protection
des droits de l’homme. L’être humain est au centre de la biosphère, dont il est
une composante. Protection de l’environnement et protection des droits de
l’homme sont donc interdépendantes et difficilement détachables.
On retrouve cette vision
dans la définition même du concept de « développement durable » tel qu’il avait
été décrit dans le Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement
de l’ONU – dit rapport Bruntland – d’avril 1987. D’après celui-ci, « le développement
durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures de répondre aux leurs ».
Il y a donc un aspect
temporel du champ d’application de la responsabilité sociale des entreprises
qui demande à être pris en compte. La notion de « sphère d’influence » permet, dans
une interprétation extensive, de recouvrir non seulement un champ matériel,
mais aussi un champ temporel. Une entreprise doit alors tenir compte, dans la
conduite de ses activités, des impacts de ces dernières sur les générations
futures, répondant ainsi aux exigences de durabilité sur lesquelles s’appuie la
RSE. Cet aspect est particulièrement pertinent vis-à-vis des entreprises menant
des activités en lien direct avec la préservation de l’environnement. Il s’agit
des entreprises exploitant directement des ressources naturelles épuisables, telles
les sociétés d’exploitation forestière ou minière, mais également celles dont
la durée du cycle de vie des produits est très longue : l’industrie nucléaire
ou chimique.
Ainsi, derrière un débat
– apparemment théorique – entre les notions de « due diligence » et de «
sphère d’influence » apparaissent au fond des enjeux importants et concrets
quant au champ et au degré de responsabilité des entreprises. La notion de « due
diligence », déconnectée de celle de « sphère d’influence », ne peut prétendre répondre aux ambitions de
développement durable et aux espoirs d’un capitalisme humanisé.
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