lundi 16 février 2015

Mieux comprendre la notion de "Due Dilligence"

La notion de  « due diligence » recouvre des sens différents selon les domaines où elle est utilisée : on la retrouve dans le droit international de l’environnement, le droit de la protection diplomatique, le droit international des investissement, le droit comptable et le droit privé des affaires.

Il s’agit d’une investigation menée par un investisseur ou un tiers permettant la vérification des éléments annoncés par l’entreprise. Lors de l'acquisition d'une entreprise, les due diligences sont l'ensemble des vérifications que l'acquéreur potentiel va réaliser afin de se faire une idée précise de la situation de l'entreprise.       
Les caractéristiques communes à ces définitions révèlent que la « due diligence » est porteuse d’une obligation de moyens, exigeant la réalisation d’un comportement minimum et dont l’appréciation demeure largement subjective. En droit privé, elle est issue de la jurisprudence nord-américaine selon laquelle les dirigeants sont soumis à l’obligation fiduciaire envers les actionnaires, l’entreprise et l’ensemble des parties prenantes d’agir de bonne foi. Elle n’exige que le bon accomplissement de formalités, plus ou moins contraignantes, exigées par les habitudes du secteur d’activité. Elle permet alors à l’entreprise de se dégager de sa responsabilité et d’établir une présomption simple en faveur de celle-ci.

La « due diligence » : une notion adaptée au contexte des droits de l’homme
La notion de « due diligence » couvre un large spectre de significations selon le contexte dans lequel l’expression est employée. On retrouve des références à ce concept dans des domaines divers allant du droit international de l’environnement au droit des sociétés. Une brève étude de son utilisation dans différents domaines permet toutefois de mettre en lumière les contours et les traits principaux de cette notion et de répondre à la question: cette notion est-elle adaptée à une utilisation dans le cadre des droits de l’homme ?

L’utilisation de la notion de « due diligence » dans les relations interétatiques
On retrouve le concept de « due diligence » dans le domaine du droit international de l’environnement, à travers le principe de l’utilisation non dommageable du territoire de l’Etat.
Il a été défini par la Cour Internationale de Justice comme « l'obligation pour tout Etat de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d'actes contraires aux droits d'autres Etats ». Cette obligation se rapproche d’un devoir de « prudence », de « diligence » : « Ainsi, l’interdiction de causer un dommage appréciable s’analyse-t-elle en une obligation de due diligence, obligation de moyens et non de résultats dont la signification n’est pas très éloignée de la notion de ‘’bon père de famille’’  du droit civil français ».

Comme le fait remarquer Hélène Ruiz-Fabri, ce concept met à la charge des Etats une  obligation de moyen, et en aucun cas une obligation de résultat. Il suppose que son destinataire prenne toutes les mesures appropriées dans le but réaliser un objectif déterminé : « Parties are required “to take all appropriate measures” with a view to reaching the result pursued by the obligations in point ». Si l’objectif à atteindre doit avoir été précisément déterminé, généralement par une norme (interne ou internationale), le comportement requis pour y parvenir ne l’est pas : l’exigence de « due diligence » impose seulement à son destinataire de prendre les mesures qui paraissent raisonnablement appropriées pour que la règle visée ne soit pas violée. Aussi, « le concept de due diligence est aussi très restrictif sur le plan du droit des obligations, puisque l'exigible doit rester raisonnable.

L’utilisation de la « due diligence » en droit international de l’environnement met également en lumière la difficulté à identifier la teneur des obligations pesant sur le destinataire. En effet, si l’évaluation de l’accomplissement d’une obligation de résultat est aisée, celle du respect d’une obligation de moyen implique plus de difficultés, laissant place à une grande subjectivité quant à l’appréciation du caractère « raisonnable » ou « approprié » du comportement en cause : « The due diligence nature of the obligations in point and the concept of “appropriateness” of the measures required involve a large measure of relativity as to both contents and time frame of the conduct which is to be taken by Parties ».

Certes, la notion de « due diligence » tient compte des circonstances particulières dans son appréciation. Mais c’est le comportement adopté dans ces mêmes circonstances qui est évalué, par rapport à un étalon de comportement jugé raisonnable in abstracto, c’est-à-dire en dehors de tout contexte: « Due diligence in a broad sense refers to the level of judgement, care, prudence, determination, and activity that a person would reasonably be expected to do under particular circumstances ».

La « due diligence » est également utilisée en droit international des investissements. Les standards de protection des investissements étrangers, tels que les principes de « traitement juste et équitable » et de « protection pleine et entière », recouvrent plusieurs notions. Les tribunaux arbitraux retiennent tout d’abord l’obligation de vigilance, « également présentée comme l’obligation d’agir avec la diligence due pour assurer la protection de l’investissement étranger ».

Dionisio Anzilotti l’explicite en ces termes : « Il est des devoirs internationaux qui consistent à exercer sur les individus soumis à l’autorité de l’Etat une vigilance correspondant aux fonctions et aux pouvoirs dont l’Etat est investi. Celui-ci n’est pas internationalement obligé d’empêcher d’une façon absolue que certains faits se réalisent ; mais il est tenu d’exercer, pour les empêcher, la vigilance qui entre dans ses fonctions ordinaires. Le défaut de vigilance est une inobservation du devoir imposé par le droit international, sans qu’il y ait alors à parler de faute au sens propre du terme ». Cette définition du devoir de vigilance, rattaché à l’obligation de « due diligence », tend donc à ne reconnaître la responsabilité de l’Etat que dans la sphère de ses pouvoirs et fonctions dits « ordinaires ». Il ne lui est pas demandé de fournir aucun effort de vigilance supplémentaire qui dépasserait sa « vigilance ordinaire » pour empêcher que se produisent des actes dommageables sur son territoire.

La « due diligence » définit ainsi un standard de comportement jugé raisonnable de la part d’un Etat « normal » : « Dans toutes les mesures de répression, l’Etat doit développer, comme dans les mesures de prévention, l’activité d’un Etat normal. C’est donc selon le principe du standard international qu’il faudra apprécier si les mesures de prévention ou de réaction […] sont ou non suffisantes au point de vue du droit des gens […]». La notion de « due diligence » est donc significative d’un devoir minimum de la part de son destinataire, auquel il semble difficile de faillir, sauf négligence frappante.

Au vu des divers domaines dans lesquels la notion de « due diligence » intervient en droit international, il résulte qu’elle n’exige, à travers les obligations qu’elle met à la charge des Etats, que la réalisation d’un comportement minimal au regard des circonstances de l’espèce, dont l’appréciation est réalisée de manière subjective selon un standard moyen et défini in abstracto. Les obligations de diligence « ne réclament que des comportements moyens ».

L’utilisation de la notion de « due diligence » en droit privé
Le concept de « due diligence » en droit des sociétés peut être schématisé comme l’exigence d’un niveau minimum de prudence dans la prise en compte d’un standard extérieur au sein de la décision de l’entreprise. La « due diligence » peut être intégrée à toutes les activités que mène l’entreprise : transactions financières, fusions-acquisitions d’entreprises, contrats de sous-traitance etc. Elle peut par exemple répondre à la prise en compte d’une préoccupation environnementale dans la décision, ou de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme financier, ou, plus couramment, de viabilité économique de la décision. On peut donc utiliser ce concept pour la prise en compte de la préoccupation de respect des droits de l’homme dans le processus de décision de l’entreprise.

L’expression « due diligence » est « très largement issue de la jurisprudence nordaméricaine [...], selon laquelle les dirigeants et les conseils d’administration sont soumis à l’obligation fiduciaire (fiduciary duties) envers les actionnaires, l’entreprise et la société en tant que telle, c’est à dire l’ensemble des parties prenantes. Cette obligation de fiducie (gérer pour autrui) est complétée par la notion de ‘’business judgment’’, qui représente la marge raisonnable d’appréciation conférée aux dirigeants pour leur permettre de représenter l’intérêt d’une conduite des affaires efficace, pourvu que ces derniers agissent de bonne foi (bona fide)». Si l’expression anglo-saxonne est certes d’apparition récente, le principe qu’elle recouvre est en revanche aussi ancien que la naissance du commerce transnational : « The concept of due diligence has been with us from the very begining of transactions between strangers […]. This practical advice forms part of the general process by which reasonable business people inform themselves about the transaction they are contemplating so they may satisfy themselves, their superiors, their shareholders, or their principals that the transaction is what it appears to be. The Americans may have come up with a catchy name in ‘due diligence’, but […]) they did not invent the concept ».

L’équivalent français de l’expression anglaise « due diligence » se trouve dans les définitions de l’« audit préalable » et de l’« obligation de vigilance ». L’audit préalable est une « investigation qui implique le recours à des experts, notamment comptables, financiers, juridiques ou fiscaux, dont les conclusions serviront de base à la prise de décision d’un investisseur », tandis que l’obligation de vigilance est un « ensemble de prescriptions légales imposant aux établissements de crédit et à toute personne recueillant des fonds des contrôles visant à identifier leur interlocuteur et l’origine de leurs ressources ». La « due diligence » est donc avant tout un processus visant à introduire une dimension de prudence, à travers la réalisation d’un audit préalable ou de contrôles divers, dans la prise de décision,
vis-à-vis de facteurs extérieurs.

La « due diligence » doit être intégrée au processus de décision lui même. Elle est devenue d’usage général face à la multiplication des régimes de responsabilités, notamment en matière d’environnement, pouvant toucher l’entreprise : « Due diligence is used any time the law imposes duties of careful investigation or for private reasons, the parties to a transaction want to be as informed as reasonably possible about all of its material aspects ». Le processus de « due diligence » vise donc à protéger l’entreprise elle-même des éventuels aspects néfastes, notamment sur le plan financier, inhérents à la décision qu’elle prend : « An efficient due diligence process can save companies from making costly mistakes that may have profound consequences for the firm’s other operational areas and/or its corporate reputation ».

Le destinataire étant encouragé à prendre une décision à la lumière d’une investigation préalable raisonnablement menée, le caractère raisonnable semble être laissé à l’appréciation d’un tiers (qui n’est pas un juge) sans que ne soient définis les critères de jugement applicables. Le caractère subjectif attaché au concept de «due diligence », déjà remarqué en droit international, se retrouve donc dans le droit des entreprises. On retrouve cette subjectivité dans l’ébauche d’une « théorie des apparences » qui est parfois attachée à la description de la mise en œuvre du processus de « due diligence » par l’entreprise, faisant primer la perception extérieure – l’apparence – à la réalité de la situation de fait dans l’identification des violations des droits de l’homme : « The focus of due diligence should be to identify risks to the rights of people (…). These risks may arise from company involvement in human right abuse, or from the perception on the part of stakeholders that the company is a participant in abuses ». A ce titre, conformément à l’exigence de « comportements moyens » décrite en amont, le processus de « due diligence » tel qu’il est entendu dans le droit des entreprises, permet à celui qui l’applique de se contenter du bon accomplissement des formalités, plus ou moins contraignantes, exigées par celui-ci. L’accomplissement de ces formalités dégage alors l’acquéreur de sa responsabilité quant aux suites de l’opération : « In the USA, the American Society of Testing and Materials has developed  a Phase I scope which if completed gives the purchaser ‘innocent purchaser status’ ».

En « droit américain, [la due diligence] établit une présomption en faveur de la direction de l’entreprise. Or une présomption, même simple, complique les choses du point de vue de la preuve et limite en tout cas la portée de l’action : il suffit que l’entreprise ait fait des démarches préalables à son opération pour s’acquitter de son obligation ».

Cette notion est-elle adaptée à la problématique des droits de l’homme ?
Par l’ambivalence de sa signification, le concept de « due diligence » n’aide guère à dissiper la confusion existant en droit international autour des obligations en matière de droits de l’homme. Le sens qu’on lui attribue diffère selon qu’il est utilisé en droit international ou dans le contexte du droit des entreprises. Le domaine de la RSE étant nourri à la fois par le droit international (par l’élaboration de normes ou de recommandations à l’échelle internationale) et par le droit des entreprises (auxquelles il s’adresse dans sa finalité), l’utilisation de la notion de « due diligence » dans ce domaine est ambivalente. D’un côté, elle ouvre des perspectives intéressantes : « Les dirigeants ne sont pas censés se substituer aux gouvernements pour faire valoir les droits de l’homme et l’intérêt général.

Mais ils ne peuvent pas non plus se retrancher derrière les carences des gouvernements dans ce domaine sans, en quelque sorte, devenir complice de ces carences. De leur côté, les gouvernements ont le devoir d’encourager la bonne conduite sociétale des entreprises et doivent faciliter le respect des normes éthiques. C’est dans cette articulation entre gouvernance publique (les Etats) et gouvernance privée (les organisations) que la notion de « due diligence » prend toute sa signification en tant que règle applicable en droit privé et en droit public, qu’elle devient source et modèle de comportement ».

A ce flou s’ajoute la question de l’adéquation de son contenu à la problématique des droits de l’homme : subjectivité, obligations de moyen, exigence de comportements seulement minima, lien flou avec les possibilités d’engagement de la responsabilité… sont-ce des principes sur lesquels fonder le respect des droits de l'Homme ? L’adoption de la « due diligence » sans clarification préalable ni étayage par des concepts qui lui confèrent une dimension plus ambitieuse ne semble, au total, pas suffisante pour préciser l’étendue des obligations  incombant aux entreprises dans le domaine des droits de l’homme.

La « due diligence » face aux exigences de développement durable
La responsabilité sociale des entreprises n’est pas étrangère au concept de développement durable qui s’est peu à peu imposé dans le vocabulaire de l’entreprise, à l’échelle mondiale. L’interprétation de la RSE en tant que « l’application dans l’entreprise de la notion de développement durable » est ainsi « couramment admise ». Les Principes Directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ainsi que le texte de la norme ISO 26000 l’affirment explicitement.

Le concept de développement durable sur lequel prend appui la RSE ne doit donc pas être exclu de la définition du champ d’application des normes internationales en matière de respect des droits de l’homme par les entreprises. A ce titre, il serait réducteur d’estimer que la stratégie de développement durable n’aurait d’impact qu’en matière de protection de l’environnement et non en matière de protection des droits de l’homme. L’être humain est au centre de la biosphère, dont il est une composante. Protection de l’environnement et protection des droits de l’homme sont donc interdépendantes et difficilement détachables.

On retrouve cette vision dans la définition même du concept de « développement durable » tel qu’il avait été décrit dans le Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU – dit rapport Bruntland – d’avril 1987. D’après celui-ci, « le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Il y a donc un aspect temporel du champ d’application de la responsabilité sociale des entreprises qui demande à être pris en compte. La notion de « sphère d’influence » permet, dans une interprétation extensive, de recouvrir non seulement un champ matériel, mais aussi un champ temporel. Une entreprise doit alors tenir compte, dans la conduite de ses activités, des impacts de ces dernières sur les générations futures, répondant ainsi aux exigences de durabilité sur lesquelles s’appuie la RSE. Cet aspect est particulièrement pertinent vis-à-vis des entreprises menant des activités en lien direct avec la préservation de l’environnement. Il s’agit des entreprises exploitant directement des ressources naturelles épuisables, telles les sociétés d’exploitation forestière ou minière, mais également celles dont la durée du cycle de vie des produits est très longue : l’industrie nucléaire ou chimique.

Ainsi, derrière un débat – apparemment théorique – entre les notions de « due diligence » et de « sphère d’influence » apparaissent au fond des enjeux importants et concrets quant au champ et au degré de responsabilité des entreprises. La notion de « due diligence », déconnectée de celle de « sphère d’influence »,  ne peut prétendre répondre aux ambitions de développement durable et aux espoirs d’un capitalisme humanisé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire