lundi 16 mars 2015

La clause d’amiable composition en droit de l’arbitrage

Le jugement en équité est l’ancêtre du jugement puisque, historiquement, il remonte à une époque où la règle de droit n’était pas encore formalisée. Dans le vieux conflit qui oppose encore aujourd’hui l’application de la règle de droit au sentiment que la justice a été rendue, le jugement en équité permet la rencontre du droit et de la justice. Le juge peut s’affranchir des règles de droit, il n’y est pas tenu ; il peut trancher le litige selon les règles de droit qui lui semblent équitables, car l’équité et le droit ne sont pas toujours divergents. En droit de l’arbitrage, ce pouvoir du juge est conféré à l’arbitre sous l’impulsion de la clause d’amiable composition.

Au Cameroun, l’article 592 du Code de procédure civile et commercial précise que les arbitres et tiers arbitre décideront d'après les règles du droit, à moins que le compromis ne leur donne pouvoir de prononcer comme amiables compositeurs. L’amiable composition peut alors se définir comme une clause qui permet aux parties de demander aux arbitres de trancher sur la base de l’équité. Les parties dispensent les arbitres de l'obligation qui leur est faite de statuer en appliquant les règles du droit, ce qui revient à les autoriser à statuer en équité en recherchant la solution la plus adéquate (ex aequo et bono). L’amiable composition ne signifie pas que les arbitres tranchent sans jamais recourir aux fondamentaux juridiques. C’est à la doctrine et à la jurisprudence que revient le rôle de tracer les frontières de l’amiable composition. En clair, les arbitres doivent privilégier la recherche de l’équité.

Consacrée par de nombreuses lois étrangères, et reconnue par les règlements des centres d’arbitrages les plus connus dont celui du GICAM (Groupement Interpatronal du Cameroun), l’amiable composition offre l’avantage d’une administration plus souple de la justice et apparait avant tout soit comme un correctif, soit comme un complément de la règle de droit. Toutefois son analyse comme instrument idéal de l’imprévision n’emporte pas la conviction, dans la mesure ou l’amiable compositeur exerce une mission juridictionnelle et que l’adaptation de contrats à des circonstances nouvelles, à l’intervention d’un tiers nommé par les parties ou à l’initiative d’une institution spécialisée, relève d’un autre mécanisme.

Une simple clause d’amiable composition insérée dans le contrat principal engage les parties, dès la signature, à soumettre leur éventuel litige à un arbitre qui statuera en équité. 

La mission de l’amiable compositeur
Même lorsqu’il dispose des pouvoirs d’amiable compositeur, l’arbitre a l’obligation de se conformer à la mission qui lui est conférée. Il doit toujours faire coïncider sa sentence avec les termes du litige qui lui est soumis, en ne statuant que sur ce qui lui est demandée.

Si l’arbitre a la faculté de statuer selon les règles du droit, l’amiable compositeur a seulement la faculté de les appliquer : il peut, en effet, juger que la plus stricte équité consiste à appliquer le droit, mais il peut aussi écarter au nom de l’équité la solution fondée sur celui-ci. Sa mission est donc d’éliminer l’inéquité de la solution du litige ; aussi doit-il motiver en équité sa volonté d’appliquer au litige les seules règles du droit, s’il les juge propres à donner au litige la solution la plus juste.

La stipulation d’une telle clause nécessite une prudence particulière ainsi qu’une confiance renforcée dans les arbitres, à qui on laisse le libre champ dans la rédaction de la sentence arbitrale. La clause d’amiable composition doit en conséquence être expresse et sans ambiguïté, à défaut de quoi la présomption selon laquelle les arbitres doivent statuer en droit reprend le dessus. Mais, ils ne doivent pas ignorer les règles de droit, violer une règle d’ordre public, outrepasser une règle de procédure, et bouleverser la loi contractuelle des parties

L’amiable compositeur et le fond du droit
L’amiable compositeur peut le cas échéant statuer sans le concours du droit lorsque son application conduit à des conséquences trop rigoureuses. Ainsi n’est-il pas tenu de prendre en compte les règles impératives du droit qui ne protègent que des intérêts privés auxquelles les parties peuvent valablement renoncer lors de la mise en œuvre de l’instance arbitrale.

Ainsi l’amiable compositeur peut-il rejeter un moyen de défense tirée de la prescription extinctive ou acquisitive, compenser des créances en dehors des conditions légales, prononcer une condamnation solidaire alors que la solidaire n’avait pas été stipulée, repousser une demande de résiliation justifiée en droit et ordonner l’exécution du contrat, retenir pour les intérêts moratoires un taux différent de celui fixé par la loi. En matière de sociétés, l’amiable compositeur a le pouvoir, en cas de partage de l’avoir social d’attribuer à l’un des associés toutes les créances douteuses, en laissant le recouvrement a ses risques.

L’amiable compositeur et la règle d’ordre public
Même lorsqu’il statue en qualité d’amiable compositeur, l’arbitre doit trancher le litige conformément aux règles d’ordre public.

Si les parties n’invoquent pas ces règles devant l’arbitre, il appartient à celui-ci d’en faire application d’office, sous réserve du respect de la contradiction. Ainsi, l’amiable composition ne pourra faire produire effet à un contrat contraire aux dispositions d’ordre public.

L’amiable compositeur et les règles de procédure
La dispense faite aux arbitres de suivre dans la procédure les formes s’appliquant aux tribunaux ordinaires n’implique évidemment pas qu’ils disposent du pouvoir de statuer comme amiables compositeurs.

L’amiable compositeur est tenu en ce qui concerne la procédure, de respecter les dispositions d’ordre public par l’obligation pour l’arbitre amiable compositeur de ne statuer que sur les points déterminés par la convention d’arbitrage, de motiver sa décision quand bien même les parties l’en auraient dispensé.

En plus de cela, l’amiable compositeur doit respecter le principe de l’égalité de traitement des parties et celui de la contradiction. S’il soulève d’office un moyen, les parties doivent être invitées à en débattre ; sauf autorisation expresse des parties, l’amiable compositeur ne peut fonder sa décision sur des éléments recueillis en leur absence lors d’une descente sur les lieux. Le respect des droits de la défense emporte donc l’absolue nécessité de l’application des principes fondamentaux relevant de la mission de juger inhérente à l’amiable composition.

L’amiable compositeur et le contrat
Le respect des conventions avenues entre parties s’impose à l’amiable compositeur, lequel est tenu de demeurer dans le cadre contractuel qu’elles ont tracée. Toutefois il se conforme aux principes de l’amiable composition lorsqu’il modifie ou modère les conséquences de certaines clauses contractuelles en considération de motifs tenant à l’équité. Il ne peut en revanche modifier les bases de la convention passée entre les parties, en dispensant par exemple l’une d’elles de tous les engagements qu’elle a souscrits. Néanmoins, nous pouvons noter quelques limites au pouvoir d’amiable compositeur de l’arbitre.

Les limites de l’amiable composition ou l’équité sans amiable composition
La frontière entre l’arbitrage et l’amiable composition s’estompe lorsque l’arbitre, statuant en droit, a précisé que l’indemnité au profit d’une partie devait être déterminée ex aequo et bono, conformément au pouvoir d’appréciation dont il dispose à l’instar du juge ordinaire ; il ne saurait lui être reproché, dans ce cas, de s’être arrogé des pouvoirs d’amiable compositeur et d’avoir par une impropriété de termes, utilisés l’expression « en équité » pour qualifier la somme qu’il décidait correspondre à la juste indemnisation au bénéfice du préjudiciée.

In fine, la principale raison qui explique le succès de l’amiable composition arbitrale tient à la différence essentielle entre la justice étatique et la justice arbitrale. À l’inverse du juge, l’arbitre est choisi par les parties. Dès lors la relation de confiance est moins ténue et s’en remettre à son sentiment d’équité est plus justifié. La différence ne tient donc pas à l’amiable composition elle-même qui est invariable, mais à son environnement juridique.

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